Je le voyais chaque jour entrer et sortir de chez Eugène CORDELETTE (la maison d'en face). Celui-ci géomètre-arpenteur, chaque année, déployait une grosse activité pour l'arpentage et la pesée géométrique des champs de betteraves de la région et pour cela embauchait du personnel saisonnier.
Dès cet instant, et à la suite des évènements catastrophiques qui allaient se produire, j'appris que cet individu était d'abord notre chef et ... le commandant canadien Gustave BIELER - alias commandant Guy - parachuté par le S.O.E. britannique pour y organiser la résistance en vue du débarquement attendu et proche ? et qu'il avait établi son P.C. chez CORDELETTE et DALONGEVILLE.
Ayant évalué le convoi et son chargement, il déclara, à notre grand désappointement, qu'il était impossible de faire sauter celui-ci sans causer de grosses pertes en vies humaines à la population riveraine, nous promettant que ce convoi allait être suivi par la R.AF. par un message radio d'alerte pour une attaque en rase campagne. Puis il repartit aussi discrètement.
Avec MARÉCHAL, notre déconvenue passée, nous décidâmes de faire "quelque chose" quand même. Aidé de Roger C. et de Serge R, il remplaça les feuilles de route des cadres grillagés de chaque wagon, destination Biarritz, Marseille, Toulouse au lieu de Stettin. Selon MARÉCHAL, pendant qu'ils vont se balader, de triage en triage, ils ne sont pas près d'arriver. Ne voulant pas rester inactifs, avec Mimile F., ayant repéré dans un local près de la gare des seaux et sacs de sable fin prévus pour la défense passive contte les bombes incendiaires et empruntant une brouette, aidés du chauffeur et du mécanicien - eux aussi résistants - nous bourrâmes de sable le maximum de boîtes d'essieux de wagons. Espérant qu'avec le grippage et l'échauffement de ceux-ci, ils finiraient par cramer ! Vers 17 h 30 min, un coup de téléphone reçu à la gare incitait le convoi à reprendre la route. Reformé en une seule rame, il démarra, salué par une série de coups de sifflet de l'équipage partant avec une bonne réserve de patates, contents du bon tour futur joué aux boches et conscients d'avoir échappés à une catastrophe.
Sur ces entrefaites, les tracteurs et remorques pilotés par Marc CALONNE et Fabien COEST repartirent à la ferme de Fervaques sans nous. Ceux-ci n'étant au courant de rien de notre activité clandestine (difficile à réaliser avec le travail en équipe), prétextant que le patron venu nous voir nous avait chargés d'attendre les feuilles d'expédition et du plombage. Nous repartîmes à pied chez nous après avoir mis à l'abri notre copieuse part de charbon stockée dans un petit local près des W.C. de la gare, paraît-il fermé à clé d'après MARÉCHAL. Quand deux jours plus tard, nous vînmes pour récupérer notre butin, le tout avait disparu. Farce ? Vacherie du père Noël ? pour nous rappeler que "bien mal acquis ne profite jamais".