Ce jour-là, 24 décembre 1943, nous étions tous heureux d'en terminer avec cette manipulation de sacs de patates de 50 kg - sacs en ficelle de papier de l'époque - qui se déchiraient au moindre choc où les liens glissaient, nous râpaient les mains et les ongles.
Vers 15 heures, nous vîmes arriver de Morcourt, se dirigeant vers le nord, un long convoi, plus de 50 wagons paraissant lourdement chargés. Ce convoi manœuvra pour reculer en se scindant en deux pour occuper les deux voies de garage côté gare, au bout des jardins des maisons de la rue du Tour de Ville. Souvent, nous avions été témoins de pareilles manœuvres car, d'Essigny à Bohain, les voies étaient souvent en réparation à cause des sabotages dans cette portion, et le jour de 10 h à 18 h le trafic se faisait à sens unique alterné.
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Sitôt le train garé, nous eûmes la visite du chauffeur et du mécanicien - nous étions habitués chaque jour à pareille visite - connaissant les lieux, venus voir s'il n'y avait pas de patates à glaner autour des wagons en chargement, because la fragilité des sacs.
Vu "la nombreuse clientèle" cheminote, nous avions établi un code de troc: patates contre charbon du tender aussi rares l'un que l'autre à l'époque pour les utilisateurs. Marché vite conclu.
Au cours de la discussion, ceux-ci nous déclarèrent qu'ils seraient contents quand ils seraient rendus à destination, la gare de Jeumont-Erquelines, car le convoi était entièrement composé de munitions en provenance de l'arsenal de La Fère à destination du front russe : Stettin en Lituanie (1). Ayant dressé l'oreille à cette nouvelle, avec Mimile FALENTIN, nous nous rendîmes constater de visu . En effet, ayant déplombé et ouvert 2 portes de wagon (le convoi n'était pas gardé), nous pûmes constater que ceux-ci étaient remplis jusqu'au toit de caisses d'obus de 75 et 105 rutilants neufs. Aussitôt nous fonçâmes au bureau de la gare, sachant y trouver Marcel MARÉCHAL aperçu peu de temps auparavant. Mis au courant immédiatement (avec les mesures de sécurité adéquates il prévint le patron de venir d'urgence pour des feuilles d'expéditions ?). Peu de temps après, nous vîmes la traction grise du patron (bien connue dans la région) accompagné d'un individu qui, pour moi, n'était pas un inconnu depuis ma planque chez mes parents, je le voyais chaque jour entrer et sortir de chez Eugène CORDELETTE (la maison d'en face).